Sting 3.0

Jul
17
2024
Montreux, CH
Montreux Jazz Festival (Lake Stage)
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Rag’n’Bone Man aurait dû se méfier de Sting...


Mercredi, l’ex-Police partageait l’affiche avec Rag’n’Bone Man. Révérence d’un côté, assurance de l’autre. Mais, au final, un seul grand concert.


Sur l’affiche, les deux noms avaient la même taille. Sur scène, l’un a mangé l’autre, et ce ne fut pas le plus épais le plus vorace… Rag’n’Bone Man aurait dû se méfier de Sting, "le dard", qui pique même quand il n’est pas venu pour combattre. Mais en acceptant de faire la première partie, même de luxe, de l’ex-Police au Montreux Jazz, son compatriote savait à quoi il se frottait.


L’absence de compétition n’empêche pas la comparaison, d’autant plus quand le festival met à juste titre l’accent sur la fidélité d’une nouvelle génération de vedettes apparues en son sein après le décès de Claude Nobs, dont la vista et la personnalité avaient su assurer à Montreux la présence régulière des plus grands artistes du siècle passé: sept fois pour Sting! Qui ne se privera pas de le rappeler au moment de dédier une chanson au fondateur: "Il me manque!" Rag’n’Bone Man, lui, retrouvait la Riviera pour la troisième fois, auréolé d’un hit mondial en 2016, "Human", et d’un premier disque à succès qu’il convient toujours de confirmer.


La voix y est, évidemment, quand bien même l’Anglais de 39 ans, en goguette en ville depuis trois jours, s’est réveillé souffrant et a annulé les interviews prévues pour la sortie de son prochain album, l’automne prochain. On sent de l’appréhension sous les allures de mastard, une révérence si évidente derrière le masque de bad boy tatoué qu’il précise au micro tout l’honneur qu’il lui échoit de partager la scène avec Sting. "Fucking brilliant!" en résumé.


La place du Marché, encore en plein jour et partiellement remplie quand il entre en scène, est un challenge que Rag’n’Bone affronte sans faillir – sans non plus la faire défaillir, hormis les acclamations obligées dès lors qu’un bout de duo avec l’une de ses choristes pousse les vocalises dans le rouge. Le syndrome "The Voice" où la moindre espèce de joliesse vocale mérite des applaudissements? Du baryton d’Uckfield, on préférerait une interprétation habitée dans son ensemble par la profondeur de son timbre, une prise de risques supplémentaire qui oserait s’extraire de la forme très convenue et radiophonique de sa musique. Un "Bone" plus à l’os, plus solide. Plus libre de la sensiblerie exacerbée qui sert son image marketing. Plus Sting, tiens!
"Bonsoir les voisins!"


Car voici l’amiral. Il accoste souvent sur les rivages lémaniques (la dernière fois à Paléo en 2022) mais paraît ne pas vieillir. À 72 ans, il exhibe des biceps de nageur sous un t-shirt élégamment piqueté de trous et une assurance roublarde sous des dehors bien éduqués. "Bonsoir les voisins! Excusez-moi pour le bruit", minaude-t-il – en français dans le texte – à l’adresse des immeubles entourant la place, dont les balcons sont aussi embouteillés que les trottoirs derrière les palissades.


Sting est un amoureux de jazz qui vint au succès à l’ère du punk, la plus grande star britannique issue de cette période abrasive, un virtuose habillé rock. Son immense force est de pouvoir doser à sa guise les composantes musicales de ses chansons, si confiant qu’il se promène Fender au flanc face à 5500 spectateurs comme s’il passait de son salon à sa cuisine, testant sur chaque morceau une saveur différente, saupoudrant ici un peu de jazz, là un brin de bossa, là encore des saccades funk. En cuistot étoilé, il jauge la réussite du banquet à mesure que les plats défilent.


Certains paraissent un peu fades, ou trop sucrés: le revers de la médaille quand on a la main trop leste sur le dosage jazzy lounge au point de saloper "Message in a Bottle", qui ouvre hélas trop souvent les concerts sans la fulgurance décharnée de l’original. "If I ever Lose my Faith in You" manque aussi de détermination. En trio, Sting ne peut cependant pas trop s’égarer dans des arrangements oisifs, bien que son complice à la guitare, le redoutable Dominic Miller, ne soit pas le dernier pour ajouter des joliesses harmoniques. Ou pour s’amuser à démarrer "So Lonely" dans une gamme inédite – un habile détour par "No Woman no Cry" rétablit l’affaire.


Car quand l’inspiration est judicieuse, elle l’est vraiment! La mise en bouche dérive vers des entremets plus roboratifs et des moments de grâce, dont un "Fields of Gold" qui pousse le concert vers le ciel ou un "Mad about You" tout en rêverie épurée. La suite sera une lente montée en gloire jusqu’au brelan final, série de tubes de Police ou de Sting mais reçue avec une ferveur égale par la foule. À peine a-t-elle repris son souffle après "Every Breath you Take" que "Roxanne" fait exploser la place mais aussi ses abords dans un même chœur chantant le même prénom, le même refrain. Encore un soir où elle n’aura pas "à allumer sa lampe rouge": Sting a mis le feu.


(c) 24Heures by Francois Barras

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